Lettre d'adieu

15 mars 2020
Ça y est, je vais mourir, c’est pas grave, je me suis fait à l’idée, cette fois c’est la bonne, j’ai le covid 19 et rien ne pourra me sauver, vu que je cumule les facteurs et les signes infaillibles : je fume, je suis un humain, je regarde le journal Le Monde, je suis allé en Chine il y 15 ans, hier soir j’ai toussé, ce matin je me suis mouché, je fréquente un enfant, il y a 14 jours je suis sorti par temps de Mistral dans une ville polluée et j’ai nettement vu quelqu’un postillonner à 60 mètres de moi à peine, et à l’instant ou j’écris je sens comme une détresse respiratoire. Mon compte est bon.

28 mars 2020
La maladie se joue de moi, c’est cruel. J’ai eu une rémission mais aujourd’hui je sens bien que c’est la fin. J’ai mal aux poumons quand je respire 10 fois de suite très fort et très vite, et puis, cette absence soudain de goût, c’est typiquement un signe de la maladie. Pour preuve, ce matin j’ai mis un pull rouge par dessus un tee-shirt vert, avec des chaussettes bleues…

03 avril 2020
Je sais que ce sont mes derniers instants. La maladie commence à s’attaquer à mon cerveau, comme il est décrit dans un article que j’ai lu hier à 3h37, et je ressens une certaine confusion, les jeux sont faits.
Au début, je me faisais peut-être des idées mais cette fois c’est sûr. C’est sans doute à cause de cette rampe d’escalier que j’ai touché en allant faire mes courses, et d’ailleurs les symptômes n’ont pas tardé, 3 minutes plus tard, j'avais comme une douleur au bras qui a duré plusieurs secondes, et qu’est-ce que ça pouvait être d’autre que le Coronavirus ?

08 avril 2020
J’ai les cheveux blancs, comme les personnes de 70 ans et plus, et c’est pourquoi je ne me fais plus d’illusion sur mon sort. En plus, j’ai mal à la gorge. Je fume les clopes deux par deux, pour me calmer, mais je sens que j’ai de plus en plus mal à la gorge, il n’y a plus rien à faire, tant pis.

12 avril 2020
J’ai entendu tousser dans l’appartement d’à côté. C’est sûrement lui l’enfoiré qui m’a refilé le virus, qui a dû passer sous sa porte puis sous la mienne. Mon agonie est longue, j’ai vraiment cru un moment que j’allais m’en sortir mais les symptômes reviennent, comme pour Boris Johnson. Moi aussi j’avais repris mes occupations quotidiennes, je regardais les informations sur le covid le matin en me levant, puis j’allais voir sur facebook les informations cachées par les médias, puis après j’allais surveiller les signes éventuelles de maladie sur mon visage dans la glace, et puis je retournais voir les dernières études américaines sur les facteurs génétiques aggravant possibles, puis je mangeais en surveillant la carte de l’université Johns Hopkins permettant de suivre en temps réel la propagation du Coronavirus 2019 nCoV à travers le monde… et puis c’est arrivé à nouveau, le mal de tête et une oppression au niveau de la poitrine. Je vis mes dernières heures.

17 avril 2020
Adieu mes amis. Ce matin à 5h30, alors que je revenais du balcon où j’étais sorti à poil manger un paquet de pruneaux d’Agen, j’ai eu de la diarrhée, ce qui est décrit comme un signe possible de la maladie. J’ai longtemps résisté au virus, mais il a finit par m’avoir, c’est l’évidence même.

18 avril 2020
Tout s’accélère désormais, en me levant je découvre que j’ai des courbatures qui ne laissent plus place au doute, alors même qu’hier j’ai pourtant réussi à dormir au moins 2 heures. J’avais fait un tour en vélo pendant 3 heures pour faire du sport une dernière fois avant de rendre mon dernier soupir. Et en plus j’ai mal aux mollets, il faudrait que je signale aux autorités ce symptôme qui n’a pas encore été répertorié. Et voilà que je ne retrouve plus mes chaussettes, ce qui veut dire que je n’ai plus d’odorat... Je suis foutu.